Ramón Masats
Visit Spain
Sala l’Estrella
Entre 1955 et 1965, Ramón Masats parcourt l’Espagne avec son appareil photo et une obsession en tête : dépeindre les clichés et les thèmes découlant des valeurs patriotiques et entendues comme officielles. Il commence sa carrière en collaborant à plusieurs publications, et ce voyage lui permet de développer une œuvre novatrice qui révolutionne le triste panorama de la photographie officielle, encore empêtrée dans sa dépendance aux canons esthétiques que l’ordre classique imposait à la nouvelle discipline.
Dans le temps, l’œuvre de Masats coïncide avec la fin de l’autarcie du régime franquiste et avec l’ouverture voulue par le gouvernement avec la création du ministère de l’Information et du Tourisme (1951), et le Plan national du tourisme (1953). Visit Spain a été le premier message à utiliser la propagande officielle.
À cette époque, alors que la télévision n’en était encore qu’à ses prémices, la photographie était le canal idéal pour se faire connaître et reconnaître, le reportage photographique était de mode. Les meilleurs photographes furent engagés pour découvrir le monde sous leur regard, le reportage se consolida en tant que format et la photographie connut son exaltation définitive dans la célèbre exposition “La famille de l’homme”, que le Musée d’art moderne de New York, sous la direction d’Edward Steichen, célébra haut et fort en 1955.
Cette même année, l’Espagne est admise à l’ONU, ce qui ouvre la première brèche de la présence internationale. La nécessité impérieuse de sortir de l’isolement autarcique et de résoudre les graves problèmes de développement a fait du tourisme l’industrie porteuse de tous les rêves de progrès.
Le gouvernement développe des structures qui facilitent l’arrivée des visiteurs et élabore des plans touristiques qui permettent l’essor de la décennie suivante. Les frontières sont ouvertes, les voyages en transports en commun sont encouragés et des slogans touristiques fusent pour définir ce pays comme inhabituel ou singulier, une différence axée sur les thèmes du soleil, des taureaux, de la danse et de la gastronomie à des prix sans concurrence.
Dans ce contexte, Masats a entrepris un voyage particulier axé sur les rites traditionnels et folkloriques qu’il qualifie de clichés. Son récit dresse le portrait d’un pays piégé dans la pauvreté matérielle, laminé dans le social et figé dans sa servitude spirituelle. Le graphisme puissant de ses photographies et l’ironie particulière de son regard signent une nouvelle empreinte de la photographie documentaire, dans laquelle la personnalité du photographe construit une suggestion au-delà de la simple réalité optique de l’image photographique, et dont l’interprétation finale reste entre les mains du seul spectateur. Des suggestions photographiques qui aujourd’hui ont colonisé notre mémoire.
Texte de Chema Conesa
Exposition produite par la Subdirección General de Museos Estatales del Ministerio de Cultura y Deporte
Et en collaboration avec Arterri